L’ONU s’inquiète face au traitement judiciaire des activistes climatiques en Suisse

Le 29 janvier 2024, un groupe d’experts indépendants mandatés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a exprimé son inquiétude quant au traitement réservé aux activistes climatiques par les autorités helvétiques.

Ces rapporteurs spéciaux avancent que les manifestants, arrêtés et poursuivis pour avoir exercé leur droit à la liberté de rassemblement pacifique sans autorisation préalable, sont victimes d’une « restriction indue et injustifiée de leurs droits ». Ils estiment que ces rassemblements constituent des « actes de désobéissance civile conformes au droit international ».

Les experts se préoccupent également des modalités de détention des activistes. Premièrement, celle-ci est parfois longue, la comparution devant un procureur pouvant durer plus de deux jours. Deuxièmement, et malgré le fait que des prélèvements intrusifs soient effectués sur les militants, l’accès à un avocat leur est limité.

Les rapporteurs demandent ainsi à la Suisse – via une lettre adressée le 29 janvier 2024 au gouvernement – de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les libertés des manifestants mentionnés dans leur missive et pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.

En substance, le Conseil fédéral disposait d’un délai de 30 jours pour :

  • Fournir des informations sur les fondements factuels et juridiques justifiant l’arrestation, la détention, le relevé d’empreintes digitales, le prélèvement d’échantillons d’ADN et l’examen rectal, et expliquer comment ces mesures sont compatibles avec les obligations internationales de la Suisse.
  • Indiquer les mesures prises pour permettre aux individus, à la société civile et aux défenseurs des droits humains et de l’environnement, notamment ceux œuvrant pacifiquement pour la protection de l’environnement, de travailler dans un environnement favorable et de mener leurs activités légitimes, y compris le droit de manifester pacifiquement, sans crainte de représailles, de harcèlement ou de criminalisation.

À ce jour, le gouvernement n’a pas encore officiellement annoncé avoir répondu à cette lettre. Celle-ci conserve toutefois toute son importance. En effet, selon Me Stéphanie Motz – l’avocate ayant rédigé la requête auprès de l’ONU – citée par Le Matin, cette missive met en lumière « les excès de la police lors des arrestations, qui ont violé les droits constitutionnels et humains ». L’avocate en conclut ainsi que « les procédures pénales engagées contre des manifestants qui (…) défendent l’avenir de tous et non des intérêts particuliers doivent être abandonnées » rapporte Le Matin.

La lettre adressée au gouvernement suisse a été rendue publique le 2 avril 2024 et est accessible ici.

L’article du Matin contenant les propos de Me Stéphanie Motz est disponible ici.

Anaïs Savigny

Arrêt imminent de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire des Aînées pour le Climat c. Suisse

Le mardi 9 avril 2024, plus d’un an après l’audience qui s’est tenue devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH), celle-ci rendra son arrêt dans l’affaire des Aînées pour le Climat c. Suisse.  

« Si nous gagnons mardi, ce sera une victoire pour toutes les générations » a déclaré Anne Mahrer, co-présidente des Aînées pour le Climat dans la Tribune de Genève (lien en fin d’article). 

Après avoir épuisé toutes les instances suisses sans succès, l’affaire avait été portée par les Aînées pour le Climat devant la CourEDH en mars 2021(lien vers un précédent article traitant du sujet : https://avocatclimat.ch/larret-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-concernant-laffaire-des-ainees-pour-la-protection-du-climat-sera-rendu-dans-les-trois-pr/). 

Dans ce contexte, la CourEDH est amenée pour la première fois à rendre un jugement concernant le réchauffement climatique en lien avec les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européennes des droits de l’homme (CEDH). 

La Tribune de Genève récapitule les enjeux spécifiques de la procédure. D’une part, les juges devront examiner la question de la recevabilité de la requête, puisque la CourEDH n’accorde pas automatiquement le droit de recourir aux associations. Cependant, les Ainées sont accompagnées de quatre personnes portant l’affaire à titre individuel, ce qui devrait permettre de contourner cette difficulté. 

La CourEDH devrait en outre déterminer si la Suisse a violé le droit à la vie (art. 2 CEDH) des requérantes et leur droit à une vie privée et familiale, dont on déduit le droit à la santé (art. 8 CEDH), en raison de son inaction climatique.

Il est toutefois également possible que la CourEDH se contente de renvoyer l’affaire au Tribunal fédéral au motif que les requérantes n’ont pas bénéficié d’un procès équitable et d’un recours effectif (art. 6 et/ou art. 13 CEDH). 

Interrogé par la Tribune de Genève, Me Raphaël Mahaim, avocat des requérantes et membres fondateur d’Avocat.e.s pour le Climat, rappelle que le verdict de la CourEDH fera inévitablement jurisprudence : « Tous les tribunaux de tous les Etats du Conseil de l’Europe devront l’appliquer s’ils sont siasis d’une affaire semblable. C’est dire à quel point cette affaire est importante ». 

L’ article de la Tribune de Genève est consultable ici.   

Anaïs Savigny

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’affaire des Aînées pour la protection du Climat sera rendu dans les trois prochains mois

Le combat judiciaire des Aînées pour le Climat, qui a commencé il y a plus de 7 ans avec le dépôt d’une requête auprès des autorités suisses s’approche de son épilogue. A la demande des requérantes, la Cour vient en effet d’indiquer que son arrêt serait rendu dans les trois prochains mois, soit au plus tard en juin 2024. 

Les Aînées font valoir l’impact de la crise climatique sur les groupes vulnérables de la population, et en particulier sur les personnes âgées. Elles demandent un renforcement des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, arguant que l’inaction de la Suisse en matière de politique climatique viole leurs droits fondamentaux (https://ainees-climat.ch/notre-action-en-justice/).

Après avoir épuisé toutes les instances suisses sans succès, les Aînées pour le Climat ont porté leur cause devant la CourEDH en mars 2021. Le 29 mars 2023, les Aînées pour le Climat ont finalement comparu devant la Grande Chambre de la Cour à Strasbourg. 

Deux autres arrêts doivent également être rendus simultanément dans des affaires climatiques similaires : Carême c. France (no. 7189/21) et Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres Etats (no. 7189/21).  

Il s’agit d’un moment charnière. En effet, dans ses futurs arrêts, la Grande Chambre de la CEDH devrait établir de nouveaux principes jurisprudentiels qui permettront de savoir si et dans quelle mesure les États qui ne mènent pas une politique climatique suffisante violent leur devoir de protection des droits humains. Les décisions attendues pourraient donc influencer les politiques climatiques non seulement en Suisse, mais également en Europe et dans le monde. 

Lien vers un article à ce sujet : https://www.greenpeace.ch/fr/communique-de-presse/106781/ainees-pour-le-climat-suisse-devant-la-cedh-jugement-attendu-dans-le-courant-du-printemps/#:~:text=La%2520demande%2520des%2520Aînées%2520pour,viole%2520ainsi%2520leurs%2520droits%2520humains

Anaïs Savigny

Revue de presse: des paysans suisses attaquent la Confédération pour son inaction en matière climatique

Le 5 mars 2024, des agriculteurs, viticulteurs, maraîchers et arboriculteurs venus de toute la suite ont attaqué la Confédération pour son inaction face au dérèglement climatique (voir notre communiqué de presse). Ces paysans, représentés par Avocat.e.s pour le Climat, ont introduit une requête auprès du DETEC afin que les autorités prennent toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements internationaux et nationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Cette nouvelle action portée par Avocat-e-s pour le Climat a reçu un large écho dans les médias suisses.

Le Temps a publié un compte-rendu détaillé des enjeux de la procédure et notamment donné la parole à Yves Batardon, l’un des requérants représentés par l’association. Dans la presse romande, la  RTS, le Blick ou encore le Journal du Jura se sont également faits l’écho de cette action initiée par l’un des groupes de la population les plus touchés par la crise climatique. En Suisse alémanique, le dépôt de la requête a notamment été couvert par Watson ainsi que par le Schweizer Bauer.

La presse audiovisuelle n’est pas en reste. Le 19h30 de la RTS a ainsi consacré un sujet à la requête déposée devant le DETEC et tendu son micro à l’une des requérantes, Mme Vanessa Renfer, ainsi qu’à Me Arnaud Nussbaumer, membre fondateur d’Avocat.e.s pour le Climat. Mme Renfer a par ailleurs été l’invitée de l’émission Forum consacrée à la même thématique. Quant à Me Nussbaumer, il est aussi intervenu sur le plateau de Léman Bleu. Canal Alpha et Radio Chablais ont également couvert le dépôt de la requête.

La requête déposée auprès du DETEC est accessible ici.

Le Tribunal administratif fédéral juge illicite l’exploitation d’une centrale à gaz de réserve dans le canton d’Argovie

En 2022, dans le contexte de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, le Conseil fédéral a pris la décision de préparer le pays face aux risques futurs de pénuries d’électricité. A ce titre, il a conclu avec l’entreprise GE Gas Power un accord portant sur la construction d’une centrale dite « de réserve », faite pour injecter de l’électricité dans le réseau grâce à l’utilisation d’énergies fossiles telles que le diesel et le gaz. C’est ainsi que la centrale de réserve de Birr (Argovie) a été prête à l’exploitation dès le 27 mars 2023.

Cette stratégie, et particulièrement la volonté de recourir aux énergies fossiles, a suscité l’ire de la Grève du climat. La RTS rapportait à ce titre en 2023 que le mouvement écologiste réclamait l’instauration d’un moratoire sur la construction et l’exploitation de centrales à énergie fossile. En parallèle de son effort politique, la Grève du climat a appuyé les démarches juridiques d’une riveraine qui s’opposait à l’exploitation de la centrale de réserve de Birr. Après s’être fait débouter en première instance, la riveraine a porté la cause au Tribunal administratif fédéral (TAF). Concrètement, elle contestait l’autorisation octroyée par le Conseil fédéral au DETEC d’exploiter ladite centrale.

Le TAF s’est préalablement penché sur le fondement juridique de cette autorisation. Depuis 2016, la Loi sur l’approvisionnement économique du pays (LAP), qui a pour but de garantir l’approvisionnement du pays lors de pénuries graves, est en vigueur. Cette loi prévoit notamment à ses art. 31 et 32 la possibilité pour le Conseil fédéral de prendre des mesures d’intervention temporaires en cas de pénurie grave déclarée ou imminente, afin de garantir l’approvisionnement en biens et services vitaux. C’est sur cette disposition que le Conseil fédéral s’est basé en 2022 pour édicter une ordonnance relative à l’exploitation de centrales de réserve, entrée en vigueur aussitôt. Ladite ordonnance prévoyait une procédure d’autorisation déléguée par le Conseil fédéral au DETEC pour l’exploitation de centrales de réserve. Problème selon la riveraine : la situation de pénurie grave qui conditionne la compétence du Conseil fédéral d’édicter une telle ordonnance faisait défaut, même pendant l’hiver 2022-2023. Selon elle, la Suisse ne souffrait d’aucune menace imminente de pénurie, et la mesure décidée par le Conseil fédéral était disproportionnée.

La recourante a été suivie par le TAF, qui a considéré que le DETEC n’avait pas réussi à prouver que la Suisse se trouvait effectivement dans une situation de pénurie grave. Il a notamment reproché au Conseil fédéral d’avoir omis d’examiner si d’autres mesures plus respectueuses des intérêts en cause étaient envisageables. Ainsi, selon les juges, le Conseil fédéral a violé le principe cardinal de la proportionnalité.

Léna Bühler, autrice du recours a relevé le caractère historique de ce jugement, qui témoigne de l’importance des études d’impact sur l’environnement dans la préparation de tels projets. Le mouvement de la Grève du climat appelle également à la poursuite de la lutte contre les infrastructures fossiles.

L’arrêt du TAF est disponible ici, son communiqué de presse ici, et le communiqué de la Grève pour le climat ici.

Les qualificatifs « klimaneutral » et « klimapositiv » jugés fallacieux par la Commission suisse pour la loyauté

Il y a presque un an jour pour jour, nous vous annoncions la plainte de l’Alliance climatique suisse rédigée par Avocat.e.s pour le climat contre la FIFA pour greenwashing. En cause, la communication de la FIFA, qui qualifiait le mondial 2022 au Qatar de climatiquement neutre. La Commission suisse pour la loyauté (CSL) avait reconnu la FIFA coupable de greenwashing.

Cette même autorité a récemment été chargée de contrôler le caractère trompeur de deux communications similaires : une huile de chauffage qualifiée de « klimaneutral » (climatiquement neutre) et des pots pour bébés « klimapositiv » (au bilan carbone positif). Dans deux décisions, la CSL a admis le caractère déloyal et trompeur de ce genre de communication, recommandant la suppression de tels qualificatifs.

L’organisme de contrôle de la publicité commence par définir la notion de déloyauté : est déloyale une communication qui présente une entreprise sous un meilleur jour grâce à des déclarations inexactes ou trompeuses. Dans le cadre de cette analyse, c’est l’impression générale suscitée par une publicité du point de vue du destinataire moyen qui doit être prise en compte. De plus, l’entreprise doit être capable de prouver l’exactitude de ses déclarations.

Ensuite, la Commission examine plus précisément les communications relatives au climat ou à l’environnement. A cet égard, elle recommande d’éviter toute formulation vague, qui n’est admissible que dans le cas où la formulation en question s’applique sans limitation à toutes les situations imaginables. Sont donc en principe bannies des publicités les formules – malheureusement encore fréquentes – telles que « respectueux de l’environnement », « vert » ou encore « durable ».

Dans les deux cas examinés par la CSL, les entreprises n’étaient pas en mesure de démontrer la neutralité, respectivement le caractère positif pour le climat de leur produit. Aucune indication concrète sur les émissions de CO2, leur compensation ou encore les détails des projets de protection du climat allégués n’accompagnait ces affirmations. Ces entreprises n’ont d’ailleurs pas non plus fourni à la CSL de calcul plausible effectué selon des méthodes reconnues de leurs émissions et compensations de gaz à effet de serre.

Bien que non-contraignantes, les décisions de la Commission suisse pour la loyauté envoient un signal positif dans la lutte contre le greenwashing, encore largement présent dans tous types de publicité. Ces décisions doivent donc être saluées.

Vous pouvez retrouver les décisions de la CSL ici (en allemand).