Un pas de plus vers la réduction de la déforestation au Brésil : le droit de propriété des indigènes sur leurs terres a été garanti

Le journal Le Monde rapporte que, le 21 septembre 2023, la Cour suprême du Brésil a rendu un arrêt déclarant inconstitutionnelle la thèse du « cadre temporel » défendue par le lobby de l’agronégoce. Cet arrêt fait suite à une procédure portant sur le territoire Ibirama-Laklano, dans l’état de Santa Catarina, qui avait perdu son statut de réserve indigène du peuple Xokleng en 2009.

Selon la thèse du « cadre temporel », le territoire qui reviendrait aux peuples autochtones se limiterait aux seules terres occupées et revendiquées officiellement par ces derniers au moment de la promulgation de la Constitution, en 1988.

Afin de défendre leur droit de propriété sur le territoire Ibirama-Laklano, les autochtones ont expliqué que la dictature militaire de l’époque les avait expulsés de certaines terres empêchant ainsi leur occupation.

Lors de la procédure devant la Cour suprême, neufs juges ont voté contre la thèse du « cadre temporel » et deux juges nommés par l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro, pour.

Le Monde rappelle que Jair Bolsonaro est responsable d’une forte augmentation de la déforestation pendant son mandat et avait exprimé sa volonté de « ne pas céder un centimètre de plus » aux peuples autochtones. Il en découle que les homologations de nouvelles réserves n’ont pas bougé pendant plus de 5 ans jusqu’à ce que Lula reprenne le pouvoir en janvier 2023 et en légalise deux nouvelles.

Or, les réserves attribuées aux peuples autochtones jouent un rôle important dans le combat mené contre la déforestation et, par conséquent, contre le réchauffement climatique. Ainsi, nous évoquions dans un précédent article une étude portant sur la forêt Atlantique brésilienne, selon laquelle, dans les zones forestières sur lesquelles les peuples autochtones ont des droits de propriété, la surface boisée augmente en moyenne plus vite que dans les zones qui n’appartiennent pas aux peuples autochtones.  

Plusieurs questions doivent encore être tranchées par la Cour suprême brésilienne, et notamment les éventuels mécanismes d’indemnités et de compensation.

L’article du Monde à ce sujet est disponible ici.

L’article portant sur la forêt Atlantique brésilienne est disponible ici. Le journal Le Temps a également évoqué cette actualité ici.

Anaïs Savigny

Douze citoyen.nes italien.nes et deux ONG déposent une action contre le pétrolier ENI qui réplique avec une procédure-bâillon

En mai 2023, douze citoyen.nes italien.nes et deux ONG (Greenpeace Italie et Re:Common) ont déposé une action en justice – dont la campagne d’action se prénomme « La Giusta Causa » ­­­– devant la Cour de Rome contre la société d’hydrocarbures ENI, ainsi que ses deux principaux actionnaires publics[1] – à savoir le Ministère de l’Économie et la Caisse des dépôts italienne – « pour des dommages passés et potentiellement futurs résultant de sa contribution au changement climatique ».

En substance, les plaignant.es indiquent que les dommages causés par la société ENI – dont les émissions de gaz à effet de serre sont plus importantes que celles de l’Italie elle-même[2] – constituent une violation de l’Accord de Paris ainsi que des droits humains, dont notamment le droit à la vie, à la santé, et à la vie privée et familiale.[3]

Eu égard à ces motifs, les plaignant.es demandent à ce que la Cour de Rome reconnaisse ENI ainsi que ses deux actionnaires publics principaux comme solidairement responsables des dommages causés, tant matériels et économiques, que moraux.  

Il est également requis de la société d’hydrocarbures, d’une part, qu’elle cesse ses pratiques préjudiciables et, d’autre part, qu’elle revoie sa stratégie industrielle pour atteindre une réduction minimale de 45 % des émissions d’ici 2030.

En outre, et dans la mesure où la plainte est également déposée à l’encontre du Ministère de l’Économie et de la Caisse des dépôts, les plaignant.es sollicitent du gouvernement italien qu’il adopte une politique climatique ambitieuse et indépendante au sein de l’entreprise, permettant de guider et de contrôler les objectifs climatiques d’ENI conformément à l’Accord de Paris et aux droits humains.

Enfin, les plaignant.es exigent qu’ENI ainsi que le Ministère de l’Économie et la Caisse des dépôts italienne soient condamnées à une somme d’argent fixée par le Tribunal, en cas de non-respect ou de retard dans l’exécution des objectifs auxquels ils seront astreints. 

Greenpeace Italie a déclaré que l’objectif premier de ce procès était d’établir un précédent devant les tribunaux italiens, afin de démontrer que l’Accord de Paris s’applique également aux grandes entreprises énergétiques privées telle qu’ENI.

Bien que cette action soit la première du genre en Italie, d’importants pétroliers ont déjà fait l’objet de plaintes similaires, tels qu’Exxon Mobile aux Etats-Unis, Shell au Pays-Bas, ou encore Total en France.

Face aux importantes retombées médiatiques de « La Giusta Causa », le géant italien a déposé une plainte pour diffamation le 26 juillet dernier, réclamant EUR 50’000 à Greenpeace Italy ainsi qu’à Re:Common.

Cette action en diffamation peut être qualifiée de « SLAPP » (Strategic Lawsuit Against Public Participation ou procédure-bâillon[4]). Chiara Campione, responsable de l’Unité Climat de Greenpeace Italie, a déclaré que l’ONG ne céderait pas face à cette tentative d’intimidation, et qu’elle continuerait à dénoncer la responsabilité d’ENI dans cette crise climatique.

La première audience de ce procès aux enjeux majeurs, est prévue dans le courant du mois d’octobre. Affaire à suivre, donc.

Le média briefing de Greenpeace peut être consulté ici, son article du 9 mai 2023 ici, et son article du 26 juillet dernier ici. L’article de European centre for the press and media freedom peut être consulté ici, l’article de Libération peut être consulté ici, l’article de basta ! ici, et enfin l’article de Public Eye ici.

Médéric FÉLISAZ


[1] Ceux-ci détiennent 30% du capital-actions.

[2]  Greenpeace Italie indique qu’ENI est à l’origine de l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère à hauteur de 0,395 ppm, de l’augmentation de 0,0037 °C de la température moyenne de la terre et de l’élévation du niveau de la mer à hauteur de 0,21 mm.

[3] Cette argumentation fondée sur la violation des droits humains, et plus précisément des art. 2 et 8 CEDH, a déjà été invoquée dans d’autres affaires liées aux changements climatiques, dont notamment deux procès climatiques encore pendants devant la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir les ainées pour le climat c. Suisse et Duarte Agostinho et autres c. Portugal et autres.

[4] Devant un essor grandissant de ce type de procédures, une alliance d’ONG et de professionnels des médias a été fondée à Berne durant l’été 2023, afin de sensibiliser le public suisse contre les SLAPP, de lutter contre celles-ci, et de soutenir celles et ceux qui sont confrontés à de telles actions judiciaires.

Un projet d’installation pétrochimique jugé illégal : une juridiction administrative belge annule le permis accordé à l’entreprise Ineos 

Une juridiction administrative belge a décidé, en date du jeudi 20 juillet 2023, d’annuler le permis qui avait été accordé en 2022 à l’entreprise britannique Ineos. Cette décision fait suite à l’action initiée par plusieurs ONG, dont ClientEarth, Greenpeace et WWF Belgium, ainsi que deux provinces néerlandaises voisines. 

Ineos souhaite mettre en place une installation pétrochimique dans le port d’Anvers, qui vise à transformer l’éthane en éthylène, l’une des matières premières permettant de produire du plastique. 

La juridiction belge a suivi les arguments des recourants, et considéré que la pollution créée par l’usine causerait une violation de la directive européenne sur les habitats : la Brabantse Wal, réserve naturelle située dans la province néerlandaise du Brabant-Septentrional, risquerait en effet d’être gravement impactée par les émissions d’azote produites par le méga projet de plus de trois milliards d’euros.

ClientEarth souligne par ailleurs que le plastique constitue un problème environnemental plus large qui génère des dégâts durant tout le processus de fabrication : extraction, raffinage, transport et processus de transformation du pétrole. Le flot de déchets plastiques a également un impact majeur, notamment en termes de santé. 

Tatiana Lujàn, avocate de ClientEarth, l’une des organisations qui avait attaqué ce permis, affirme que cette décision « marque un tournant dans la lutte contre les plastiques inutiles ». 

En effet, selon elle, « nous sommes arrivés à un point de saturation en ce qui concerne la pollution causée par le plastique, il s’agit maintenant de l’arrêter à la source ». 

Ineos a encore la possibilité d’attaquer cette décision.

Des articles détaillant le sujet peuvent être consultés ici : 

Anaïs Savigny

Le Tribunal international du droit de la mer saisi d’une demande d’avis consultatif par la Commission des petites états insulaires sur le changement climatique et le droit international

Par lettre du 12 décembre 2022, le Tribunal international du droit de la mer a été saisi par la Commission des petites états insulaires sur le changement climatique et le droit international, d’une demande d’avis consultatif transmise par les Coprésidents M. Gaston Browne, Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda et M. Kausea Natano, Premier Ministre des Tuvalu, représentant ladite Commission conformément à l’article 3, paragraphe 3, de l’Accord pour la création de la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international.

Cette Commission est une « organisation intergouvernementale sans aucun précédent dans l’histoire, dont objectif est d’utiliser le potentiel du droit international pour protéger les États les plus vulnérables sur le plan climatique contre les menaces existentielles qui pèsent sur eux. ». Elle a pour objectif « de promouvoir et de contribuer à la définition, à la mise en œuvre et au renforcement progressif des règles et des principes du droit international relatifs au changement climatique. » [1]

Comme l’indique le préambule de l’Accord précité, les membres de la COSIS sont « alarmé[s] par les effets catastrophiques des changements climatiques qui menacent la survie des petits États insulaires voire, dans certains cas, leur existence même ».

Les questions juridiques soumises par la Commission au Tribunal sont les suivantes :

« Quelles sont les obligations particulières des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« la CNUDM »), notamment en vertu de la partie XII :

  1. de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et de l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?
  2. de protéger et préserver le milieu marin eu égard aux incidences du changement climatique, notamment le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, et l’acidification des océans ? »

Cette demande est fondée sur l’art. 138 du règlement du Tribunal international du droit de la mer selon lequel « le Tribunal peut donner un avis consultatif sur une question juridique dans la mesure où un accord international se rapportant aux buts de la Convention prévoit expressément qu’une demande d’un tel avis est soumise au Tribunal (…). »

La requête de la Commission a été jugée recevable par le Tribunal qui, par ordonnance du 30 juin 2023, a fixé au 11 septembre 2023 la date d’ouverture des audiences au cours desquelles, des exposés oraux pourront être présentés au Tribunal par les États Parties à la Convention, la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international et les autres organisations intergouvernementales dont la liste figure en annexe à l’ordonnance du Président du Tribunal du 16 décembre 2022, ainsi que par l’Union africaine, l’Autorité internationale des fonds marins et la Communauté du Pacifique.

Lors de la première audience qui s’est tenue le 11 septembre dernier, le Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda, M. Gaston Browne n’a pas manqué de relever les conséquences désastreuses du réchauffement climatique concernant son pays.

En effet, on constate non seulement que l’« augmentation des risques naturels, l’élévation du niveau de la mer l’acidification et le réchauffement des océans risquent tous d’entraîner la destruction du littoral et l’effondrement des écosystèmes marins, sources de tourisme et d’activités de loisirs », mais également que l’économie touristique qui représente 60 % du produit intérieur brut du pays, est touchée. 

Le premier Ministre est catégorique : « les effets du changement climatique sur Antigua-et-Barbuda sont tout simplement catastrophiques. Nous nous efforçons désespérément de nous adapter à ces changements, mais nous sommes impuissants devant leur fréquence, leur intensité et l’étendue des dommages qu’ils entraînent. Pour avoir une chance de survie, Antigua-et-Barbuda et les autres petits États insulaires ont besoin que le monde entier réduise les émissions de gaz à effet de serre, tout en nous aidant à faire face aux effets du changement climatique. »

Au terme de cette audience qui se terminera le 25 septembre prochain, le Tribunal émettra un avis consultatif qui bien que juridiquement non-contraignant pour les états, pourrait les conduire à prendre de nouvelles initiatives pour réduire leurs émissions.

Les sources détaillant le sujet peuvent être consultés ici :

https://www.theguardian.com/environment/2023/sep/10/small-island-nations-take-high-emitting-countries-to-court-to-protect-the-ocean

https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Oral_proceedings/TIDM_PV23_A31_1_Fr.pdf

https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/A31_Ordonnance_2023_4_30_juin_2023.pdf

https://www.africanews.com/2023/09/12/small-island-nations-seek-help-on-climate-change-from-un-maritime-court//#:~:text=Leaders%20of%20nine%20small%20island,levels%20threaten%20their%20very%20existence

https://www.itlos.org/fr/main/affaires/role-des-affaires/demande-davis-consultatif-soumise-par-la-commission-des-petits-etats-insulaires-sur-le-changement-climatique-et-le-droit-international-demande-davis-consultatif-soumise-au-tribunal/


[1] Procès-verbal de l’audience publique du 11 septembre 2023, à 10 heures, au Tribunal international du droit de la mer, Hambourg, p.5

Anaïs Savigny

TotalEnergies assignée en justice par des actionnaires activistes pour « dividendes fictifs »

Si le fait que TotalEnergies soit attaquée pour son inaction climatique n’est pas nouveau (voir notamment l’action en justice de plusieurs associations et collectivités dont Paris et New-York contre le géant français), c’est ici la stratégie utilisée qui l’est et qui rend l’action déposée contre l’entreprise pétrolière début juillet passionnante.

Afin de pouvoir agir de l’intérieur contre l’inaction climatique des géants pétroliers, des actionnaires de TotalEnergies se sont rassemblés au sein du collectif Métamorphose. Suite à la distribution de EUR 9,5 milliards de dividendes par l’entreprise, ces actionnaires ont décidé de rendre les montants reçus, qu’ils qualifient de « dividendes fictifs », rapporte le média Reporterre.

Le raisonnement est le suivant : les émissions engendrées par l’activité de TotalEnergies créent à l’égard de l’entreprise une dette environnementale, qu’il est possible de chiffrer grâce au mécanisme – déjà existant – du coût à la tonne de CO2. Ainsi, un bilan sincère devrait intégrer cette dette environnementale et pousser l’entreprise à en provisionner le coût, réduisant ainsi le bénéfice réalisé et donc le montant des dividendes pouvant être distribués.

Reporterre précise en outre que le droit français oblige les entreprises à déprécier leurs actifs lorsqu’elles savent qu’elles vont devoir modifier leurs conditions d’exploitation. Or, les entreprises pétrolières sont parmi celles qui doivent le plus se préparer à une adaptation d’envergure répondant aux enjeux du dérèglement climatique. Elles doivent également se préparer à devoir réparer les dommages sur la santé et l’environnement générés par leurs activités.

Ainsi, selon les actionnaires réunis au sein de Métamorphose, le bénéfice issu d’un bilan qui n’intégrerait ni la dette environnementale d’une société ni la dépréciation de ses actifs correspondant à une future adaptation serait illégitime, et les dividendes en découlant auraient donc un caractère fictif.

L’assignation en justice de Métamorphose est disponible ici, et la tribune parue sur Reporterre ici.

Dissolution du collectif « les Soulèvements de la Terre » suspendue : le Conseil d’État français désavoue le gouvernement

En date du 11 août 2023, le Conseil d’État a décidé de suspendre la dissolution du collectif d’écologie politique et contestataire « les Soulèvements de la Terre ». Cette dissolution avait été prononcée par décret le 21 juin dernier, au motif que l’organisation inciterait à des actes de violence et y participerait.

Des accusations immédiatement réfutées par l’organisme qui jugeait cette dissolution « liberticide car attentatoire à liberté d’expression et à la liberté d’association ».

Soutenu par plusieurs associations, partis et des milliers de personnes, le collectif avait saisi le Conseil d’État d’une procédure d’urgence. Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative française a réfuté la position du gouvernement, estimant qu’il existe « un doute sérieux quant à la qualification de provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens ».

Selon le Conseil d’État, « il ne résulte pas des pièces versées au dossier […] que ce collectif cautionne d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes. S’agissant des violences alléguées à l’égard des biens, il ressort des pièces versées au dossier, ainsi que des éléments exposés à l’audience, que les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiative de désobéissance civile et de « désarmement » de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique, et ont été en nombre limité ».

Le Conseil d’État doit encore se prononcer sur le fond de l’affaire. Ce qui n’enlève rien à l’importance de sa décision en matière de désobéissance civile et de respect des libertés d’association et d’expression.

Des articles détaillant le sujet peuvent être consultés ici :

  • https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/12/la-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-suspendue-un-revers-majeur-pour-gerald-darmanin_6185188_3224.html
  • https://www.rts.ch/info/monde/14233620-le-conseil-detat-francais-suspend-la-dissolution-des-soulevements-de-la-terre.html

Anaïs Savigny