En mai 2023, douze citoyen.nes italien.nes et deux ONG (Greenpeace Italie et Re:Common) ont déposé une action en justice – dont la campagne d’action se prénomme « La Giusta Causa » ­­­– devant la Cour de Rome contre la société d’hydrocarbures ENI, ainsi que ses deux principaux actionnaires publics[1] – à savoir le Ministère de l’Économie et la Caisse des dépôts italienne – « pour des dommages passés et potentiellement futurs résultant de sa contribution au changement climatique ».

En substance, les plaignant.es indiquent que les dommages causés par la société ENI – dont les émissions de gaz à effet de serre sont plus importantes que celles de l’Italie elle-même[2] – constituent une violation de l’Accord de Paris ainsi que des droits humains, dont notamment le droit à la vie, à la santé, et à la vie privée et familiale.[3]

Eu égard à ces motifs, les plaignant.es demandent à ce que la Cour de Rome reconnaisse ENI ainsi que ses deux actionnaires publics principaux comme solidairement responsables des dommages causés, tant matériels et économiques, que moraux.  

Il est également requis de la société d’hydrocarbures, d’une part, qu’elle cesse ses pratiques préjudiciables et, d’autre part, qu’elle revoie sa stratégie industrielle pour atteindre une réduction minimale de 45 % des émissions d’ici 2030.

En outre, et dans la mesure où la plainte est également déposée à l’encontre du Ministère de l’Économie et de la Caisse des dépôts, les plaignant.es sollicitent du gouvernement italien qu’il adopte une politique climatique ambitieuse et indépendante au sein de l’entreprise, permettant de guider et de contrôler les objectifs climatiques d’ENI conformément à l’Accord de Paris et aux droits humains.

Enfin, les plaignant.es exigent qu’ENI ainsi que le Ministère de l’Économie et la Caisse des dépôts italienne soient condamnées à une somme d’argent fixée par le Tribunal, en cas de non-respect ou de retard dans l’exécution des objectifs auxquels ils seront astreints. 

Greenpeace Italie a déclaré que l’objectif premier de ce procès était d’établir un précédent devant les tribunaux italiens, afin de démontrer que l’Accord de Paris s’applique également aux grandes entreprises énergétiques privées telle qu’ENI.

Bien que cette action soit la première du genre en Italie, d’importants pétroliers ont déjà fait l’objet de plaintes similaires, tels qu’Exxon Mobile aux Etats-Unis, Shell au Pays-Bas, ou encore Total en France.

Face aux importantes retombées médiatiques de « La Giusta Causa », le géant italien a déposé une plainte pour diffamation le 26 juillet dernier, réclamant EUR 50’000 à Greenpeace Italy ainsi qu’à Re:Common.

Cette action en diffamation peut être qualifiée de « SLAPP » (Strategic Lawsuit Against Public Participation ou procédure-bâillon[4]). Chiara Campione, responsable de l’Unité Climat de Greenpeace Italie, a déclaré que l’ONG ne céderait pas face à cette tentative d’intimidation, et qu’elle continuerait à dénoncer la responsabilité d’ENI dans cette crise climatique.

La première audience de ce procès aux enjeux majeurs, est prévue dans le courant du mois d’octobre. Affaire à suivre, donc.

Le média briefing de Greenpeace peut être consulté ici, son article du 9 mai 2023 ici, et son article du 26 juillet dernier ici. L’article de European centre for the press and media freedom peut être consulté ici, l’article de Libération peut être consulté ici, l’article de basta ! ici, et enfin l’article de Public Eye ici.

Médéric FÉLISAZ


[1] Ceux-ci détiennent 30% du capital-actions.

[2]  Greenpeace Italie indique qu’ENI est à l’origine de l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère à hauteur de 0,395 ppm, de l’augmentation de 0,0037 °C de la température moyenne de la terre et de l’élévation du niveau de la mer à hauteur de 0,21 mm.

[3] Cette argumentation fondée sur la violation des droits humains, et plus précisément des art. 2 et 8 CEDH, a déjà été invoquée dans d’autres affaires liées aux changements climatiques, dont notamment deux procès climatiques encore pendants devant la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir les ainées pour le climat c. Suisse et Duarte Agostinho et autres c. Portugal et autres.

[4] Devant un essor grandissant de ce type de procédures, une alliance d’ONG et de professionnels des médias a été fondée à Berne durant l’été 2023, afin de sensibiliser le public suisse contre les SLAPP, de lutter contre celles-ci, et de soutenir celles et ceux qui sont confrontés à de telles actions judiciaires.