Constater la responsabilité des entreprises les plus polluantes – Le combat d’un paysan de montagne péruvien devant la justice allemande

Un agriculteur péruvien nommé Luciano Lliuya a actionné l’entreprise allemande spécialisée dans l’énergie RWE AG au siège de cette dernière, à Essen en Allemagne. Luciano Lliuya réclame une participation aux coûts élevés des mesures de protection que le changement climatique a rendues nécessaires. Son but : que dans les décisions entrepreneuriales, les risques liés aux énergies fossiles soient reconsidérés.

Le Washington Post relate l’histoire d’un glacier péruvien dont la superficie ne cesse de se réduire, a contrario du lac créé par sa fonte. Ce lac ferait planer un danger élevé sur les dizaines de milliers d’habitants de la ville de Huaraz ;une étude démontre qu’une avalanche d’une intensité inhabituelle pourrait créer une vague devenant torrent au fur et à mesure de sa descente vers la ville. L’étude insiste sur le caractère destructeur de cette inondation.

Des travaux d’envergure seraient nécessaires pour éviter une grande partie des dangers. Problème : le gouvernement régional manque de fonds. De plus, le quotidien américain rapporte que plus de cinquante lacs seraient dans une situation potentiellement dangereuse dans la même région du Pérou. L’organisation Germanwatch ayant eu vent de ce cas a alors mis en place une stratégie juridique basée sur une plainte pour nuisance. Une telle action se fonde sur des études d’attribution, lesquelles tendent à déterminer dans quelle mesure un événement est la conséquence directe du réchauffement climatique.

Avec l’aide de Germanwatch, Luciano Lliuya, en tant que lésé par la fonte du glacier, a décidé d’actionner la société allemande, avec comme prétention 0.47% des coûts du projet de sécurisation du lac – soit la proportion des émissions mondiales depuis l’ère industrielle dont RWE est responsable.

Du procès qui est encore en cours, il y a un point fort à retenir selon le Washington Post : la cour d’appel a accepté d’entrer en matière et de procéder à la collecte des preuves, acceptant ainsi le principe d’une éventuelle responsabilité d’une entreprise pour un dommage ayant lieu à l’autre bout du monde. Le tribunal examine désormais si la propriété de Luciano Lliuya est réellement en danger, si cela peut être attribué au réchauffement climatique et, enfin, de quelle fraction de la pollution RWE est responsable.

Ainsi, avant même l’issue de cette procédure, l’on peut considérer qu’un précédent a été posé en Allemagne par une cour d’appel régionale concernant le principe de responsabilité d’une entreprise. Il nous faudra ainsi suivre le développement de ce procès, plus particulièrement encore s’il monte à la Bundesgerichtshof, la cour suprême allemande. L’admission du principe de responsabilité des entreprises allemandes polluantes pourrait alors ouvrir la voie à un grand nombre d’actions venant du monde entier.

En Suisse, la même question pourrait se poser avec des entreprises polluantes telles que Holcim et Lonza. Il serait fort intéressant de voir comment les juges apprécieraient la responsabilité des entreprises dans les dégâts causés par le réchauffement climatique. Une entreprise serait-elle tenue, en cas de responsabilité plurale comme celle liée au réchauffement climatique, de réparer l’ensemble du dommage, à charge pour elle de se retourner vers les autres pollueurs (cf. art. 50 CO) ?

L’article du Washington Post est disponible ici.

Une organisation australienne poursuit un producteur de gaz pour greenwashing

Santos Ltd, un grand groupe producteur de gaz australien a été actionné en justice en 2021 pour greenwashing par l’Australian Centre for Corporate Responsibility (ACCR). Cette organisation reproche à Santos d’énoncer des objectifs climatiques basés sur des éléments spéculatifs.

Le Sidney Morning Herald rapporte, en substance, que Santos souhaite atteinte le zéro émission en 2040 grâce au stockage de CO2 lors de la production d’hydrogène. L’ACCR, qui a pu consulter des documents internes de Santos, doute cependant du caractère réalisable de cet objectif ; il nécessiterait un gaz bon marché (ce qui serait loin d’être certain), Santos compterait à double (à la production et à la consommation) ses réductions d’émissions et ne pourrait pas remplir autant que prévu les gazoducs d’hydrogène.

Ce procès, dont une audience est attendue pour 2023, pourrait servir de précédent en matière de greenwashing et de violation des lois protégeant les consommateurs. Plus généralement, il pourrait envoyer un message clair aux entreprises australiennes : les objectifs climatiques publiés doivent reposer sur de solides fondements.

Plus proche de chez nous, en France, Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et ClientEarth ont également ouvert une action en justice pour greenwashing contre TotalEnergies.

L’article du Sidney Morning Herald est disponible ici.

Nouveau rapport sur les tendances mondiales en matière de procès climatiques

Le 30 juin 2022, le Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment de la London School of Economics a publié un rapport détaillé sur les tendances actuelles en matière de litiges environnementaux.

Sous la plume des ses deux autrices, Joana Setzer et Catherine Higham, le document rapporte notamment que

  • Le nombre cumulé de procédures judiciaires liées au changement climatique a plus que doublé entre 2015 et 2022, portant le nombre total d’affaires à plus de 2’000 à travers le monde.
  • Les litiges climatiques sont devenus un instrument utilisé pour faire respecter ou renforcer les engagements climatiques pris par les gouvernements. 73 affaires mettent en effet en cause les réponses des gouvernements au changement climatique.
  • Au cours des 12 derniers mois, de nouvelles actions en justice ont été intentées contre des entreprises investies dans les énergies fossiles, notamment en dehors des États-Unis. Les affaires contre des entreprises privées ciblent par ailleurs de plus en plus les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture, des transports, des plastiques et de la finance.
  • Le nombre d’affaires de litiges climatiques ayant une ambition stratégique (c’est-à-dire visant à provoquer un changement sociétal plus large) continue d’augmenter.
  • Les litiges récents ont des points communs avec certaines des questions les plus importantes soulignées par la communauté internationale lors de la COP26, notamment la nécessité d’accroître l’ambition et l’action des pays, et de réduire progressivement l’utilisation de tous les combustibles fossiles dans le secteur de l’énergie.

Rapport complet est disponible ici.