Durant l’été 2020, plusieurs mesures dites « post-Covid » ont été mises en place par les autorités en ville de Genève. Parmi elles, l’affectation à une bande cyclable d’une voie auparavant réservée au transport individuel motorisé (TIM) sur le Boulevard Georges-Favon, grand axe du réseau genevois. Cette affectation a été critiquée et portée devant la justice par le Touring Club Suisse (TCS). Le Tribunal administratif de première instance (TAPI) chargé de l’affaire a, en 2022, admis ces recours et annulé les décisions portant sur les pistes cyclables « post-Covid », jugeant que celles-ci portaient une atteinte excessive à la circulation et à la liberté individuelle du choix du mode de transport prévue par la Constitution et la loi genevoise.
Le département des infrastructures de l’Office cantonal des transports ainsi que la Ville de Genève ont alors fait recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de Justice (CACJ), autorité de deuxième instance, demandant l’annulation de l’arrêt du TAPI. Ledit recours a été admis, de sorte que les pistes cyclables attaquées resteront en place, sauf éventuelle victoire sur recours du TCS au Tribunal fédéral, recours qui n’a toutefois pas été annoncé à ce jour.
Pour rendre sa décision, le TAPI s’était notamment basé sur la hiérarchie du réseau routier, qui interdisait selon lui qu’un axe principal de la ville soit soustrait au trafic automobile. La deuxième instance déconstruit cependant cette analyse : quand bien même le tronçon en question fait partie du réseau primaire ou secondaire de la ville, rien n’indique dans la législation genevoise que deux voies de circulation dédiées au transport individuel motorisé (TIM) soient nécessaires. Et la CACJ de donner plusieurs exemples de tronçons primaires ne comportant qu’une seule voie de circulation réservée au TIM tels que la Route de Chancy, l’Avenue des Acacias ou encore l’Avenue de Châtelaine. En revanche, la législation impose expressément une priorisation de la mobilité douce et des transports publics dans les zones de centre-ville. Ainsi, affecter une des deux voies réservées au TIM à la mobilité douce est une mesure qui respecte la volonté du législateur.
L’autre fondement de la suppression des pistes cyclables « post-Covid » aux yeux du TAPI était l’absence de proportionnalité entre les bénéfices et les coûts générés par la nouvelle affectation. Selon le TAPI, celle-ci aurait provoqué des bouchons conséquents et ainsi un désagrément qui ne saurait être compensé par les bienfaits d’une nouvelle piste cyclable pour les cyclistes genevois. Les embouteillages prétendument créés par cette nouvelle piste cyclable n’ont toutefois, aux yeux de la CACJ, pas été suffisamment prouvés par les pièces déposées au dossier. De simples photographies de la circulation ne sauraient suffire à retenir un rallongement du temps de parcours lié à la nouvelle piste cyclable. Au contraire, les nombreuses pièces produites par le département tendent à établir une perte pour le TIM de seulement 50 secondes sur le tronçon concerné, ce qui est loin d’être disproportionné. La CACJ a également justifié la proportionnalité de la mesure en question par la diminution constante et significative du nombre d’automobilistes utilisant cet axe routier. En ce sens, réduire l’espace qui leur est attribué ne saurait être critiqué, d’autant plus au vu de l’augmentation élevée du nombre de cyclistes.
Finalement, la CACJ a souligné le fort intérêt d’une telle piste cyclable pour la sécurité des cyclistes, lesquels se sont vus attribuer une voie obliquant une seule fois pour un itinéraire menant à la gare (contre onze fois dans l’alternative proposée par le TCS !). De manière générale, le TAPI a, aux yeux de la seconde instance, « largement surestimé les effets négatifs des mesures tout en sous-estimant les effets positifs sur la mobilités des cyclistes et des piétons, en se fondant sur un état de fait incomplet ».
Il est encore intéressant de relever l’opinion séparée émise par un membre du tribunal qui souhaitait confirmer la suppression des pistes cyclables « post-Covid » et propose un raisonnement à notre sens aussi surprenant que peu convaincant. A titre d’exemple, il soutient que maintenir une piste cyclable aussi large que celle qui a été mise en place encouragerait les cyclistes à violer la loi (il est interdit de circuler de front à plusieurs), ou encore que la nouvelle piste cyclable entraînerait un surcroit de pollution du fait des embouteillages notoires qu’elle crée. Finalement, il déplore le fait que la mise en place de la piste cyclable ne serait selon lui qu’une « mesure consistant à décourager encore et toujours le trafic automobile ».
L’arrêt de la Chambre administrative de la Cour de Justice genevoise est disponible ici.